Avec la démocratie, la place des pères et des mères dans l’éducation des enfants a évolué et pourtant, plus que jamais en ce début de XXIème siècle, faire intégrer les limites indispensables aux enfants semble poser question !
Pendant des siècles, les rôles des hommes et des femmes ont été cadrés avec rigueur par la société patriarcale. Depuis le XVème siècle, cette idéologie mâle a été contestée par une vision du monde en totale réaction, que l’on peut appeler féminine ou féministe. Elle a permis à la démocratie de s’installer dans la société et dans la famille. Elle a entrainé, malgré les résistances de certains, une véritable révolution des mentalités. C’est ainsi que les hommes et les femmes modernes arrivent de plus en plus à abandonner les rôles sociaux traditionnels et à se débarrasser des stéréotypes liés à leur sexe.
Si on ne peut que se féliciter de cette évolution, la nouvelle idéologie égalitariste n’a-t-elle pas cependant tendance à semer la confusion chez les parents et les éducateurs, particulièrement quand il s’agit de fixer des limites aux enfants ?
En effet si l’homme peut « être dans l’affectif » et même dans le ludique avec ses enfants, doit-il pour autant oublier la fonction d’autorité à laquelle les « pères » traditionnels avaient le tort de s’identifier ?
Faut-il pour ne plus verser dans l’autoritarisme, craindre l’autorité ?
Faut-il pour ne plus devenir un « père fouettard », ne plus jouer la fonction de père ?
Faut-il pour rejeter la domination masculine sexiste et aller vers plus d’égalité, ne plus distinguer dans l’autorité parentale la fonction de la mère et la fonction du père ?
La loi de 1970 donne l’autorité non pas aux parents mais « aux pères et aux mères ». Cette loi pointe nettement la différence des sexes et il n’est pas certain que l’humain ait intérêt à essayer de la contourner et de fusionner avec un autre « soi-même ». L’infériorisation de l’autre féminin par les hommes du passé en quête de certitudes ne peut non plus autoriser aujourd’hui l’humain, fasciné par la toute-puissance, à dénier la limite incontournable. De même la réaction légitime contre des siècles de construction sociale sexiste ne doit pas faire oublier la structuration différente du psychisme chez l’homme et chez la femme. En effet même si l’éducation s’est empressée de les amplifier par des discriminations aujourd’hui inacceptables, il est difficile d’ignorer les différences biologiques bien sûr mais aussi les différences qui apparaissent dès la genèse du psychisme et qui sont totalement indépendantes du lieu, de l’époque, de la culture.
La petite fille mise au monde par une personne du même sexe qu’elle et le petit garçon né d’une personne du sexe opposé n’ont pas le même rapport avec la maman qui leur a tout apporté et qui pour cela est perçue toute-puissante. Quand, en découvrant la différence des sexes, l’une se sent, comme sa référence, hors des limites, l’autre souffrira de ne plus pouvoir s’identifier à son modèle premier. Pour supporter cette castration psychique primaire, il a besoin de la refouler en se prouvant qu’il n’a jamais voulu devenir comme sa maman et qu’il n’a donc aucune raison de souffrir. Pour cela, il lui faut dénier sa fascination pour le féminin et se persuader qu’il est préférable d’être un garçon. Ceci l’amène à exhiber ses attributs masculins et à dénigrer ce qui appartient à la féminité. Ce machisme grotesque est indispensable pour qu’il oublie celle qui le fascine et pour qu’il se construise différemment
Cette structuration différente du psychisme conditionne le rapport à la loi. La maman n’est perçue ni comme le papa et ni pareillement par les petits garçons et par les petites filles. Fantasmée toute-puissante, elle ne pourra jouer les mêmes fonctions symboliques que le père. Ce qu’elle fera et dira sera toujours interprété différemment par le petit enfant qui, s’il peut emmagasiner énormément de sensations n’a pas encore les moyens de tout comprendre. Cette maman peut tout à fait faire preuve de sévérité mais si elle fixe seule des limites sans faire intervenir un tiers, l’enfant lui obéira, peut-être, mais cherchera surtout à lui faire plaisir pour ne pas la perdre. Il aura même envie de l’imiter, c’est-à-dire de rester dans la toute-puissance qu’il voudrait continuer à partager avec elle. Quand la maman cherche à le limiter, l’enfant lui n’a en fait qu’une idée : l’imiter. Et même s’il ne ressent pas un chantage affectif, il n’est jamais question pour lui de loi à respecter. Il reste hors la loi (Il ne la connaît pas alors que l’enfant victime de l’autoritarisme peut la rejeter)!
Le compagnon (qui n’est pas forcément le géniteur ou le papa) n’a pas mis au monde l’enfant et a « neuf mois de retard ». Il n’est pas perçu tout-puissant. Il peut faire intégrer les limites à l’enfant s’il les respecte lui-même. Pour cela il doit non seulement jouer la fonction symbolique de père en disant la loi mais aussi être écouté. Et il ne le sera que s’il est nommé père par la mère et donc valorisé.
En acceptant de se présenter comme quelqu’un qui écoute le père, la maman entre dans la fonction de mère. En donnant l’autorité, elle signifie à l’enfant qu’elle n’est pas toute-puissante puisqu’elle manque et qu’elle a besoin de lui. Cet homme mérite alors d’être écouté et la loi à laquelle il se plie et qu’il se contente de dire (il ne s’agit pas de faire sa loi), sera plus facile à intégrer. Le spectacle de ses parents acceptant leur non toute-puissance (L’homme au pouvoir absolu ne peut être dans la fonction de père) donnera aussi à l’enfant plus de facilité pour assumer sa propre castration et devenir adulte.
Comme toute différence, la différence des sexes est gênante parce qu’elle renvoie au manque insupportable. Cette castration est terrible mais il convient de l’assumer pour s’élever et élever ses enfants !
Il apparaît ainsi que si le papa peut être un bon papa câlin, il a aussi à jouer, en accord avec la maman, sérieusement et sans se prendre au sérieux, la fonction d’autorité. Apparemment ingrate pour celui qui l’exerce, elle est cependant indispensable pour que l’enfant apprenne les limites et sorte de son sentiment de toute-puissance mortifère.
« Elever » des enfants est une aventure passionnante. Difficile à mener, le projet peut donner du sens à la vie et s’avérer source de joie si l’on sait, sans attendre le résultat, profiter du plaisir d’avancer.
Jean GABARD
Conférence donnée au Conseil Général des Alpes Maritimes
à Nice le 04 octobre 2011