Motilium et allaitement

En complément, voici la réponse à l’article de la revue Prescrire 2011 faite par le Dr Aurore Gouraud (Centre de pharmacovigilance de Lyon, 9 mars 2010) et le Dr Raphaël Serreau (Réseau Medic-Al, Paris, 7 décembre 2011) :

Il faut différencier plusieurs points :

1. Efficacité de la dompéridone comme galactogogue :

Sur ce point, je rejoins assez volontiers ce qui est dit dans l’article dans le sens où les données d’efficacité sont limitées à trois petites études comparant l’effet de la dompéridone à un placebo et une étude non comparative.
Deux études, incluant un total de 62 couples mère/enfant dont 28 traitées par dompéridone, concernent des mères de prématurés (enfants nés à 27-28 SA) avec une inclusion entre 31 et 33 SA d’âge corrigé. La dompéridone augmente significativement les taux maternels de prolactine et la production de lait par rapport aux groupes non traités (+ 44-106 % d’augmentation de volume de lait en moyenne contre + 15-16 % dans le groupe placebo) (1,2).

Une autre étude, non contrôlée, a testé l’efficacité de deux posologies de dompéridone (30 ou 60 mg/j) chez six mères de prématurés (terme naissance moyen 26,4 SA, âge moyen au moment de l’étude 33 SA). Sur ces six mères, deux n’ont pas vu leur production de lait augmenter, quelle que soit la dose de dompéridone utilisée. Chez les quatre autres, on observe une augmentation de la production lactée de 200 à 300 % par rapport au volume de lait avant traitement. Sur ce petit effectif, il n’y a pas de différence significative d’augmentation de la production de lait entre les deux doses testées (3).

La dernière étude versus placebo (non randomisée) concerne les mères de 32 enfants nés à terme dont 17 étaient traitées par dompéridone 30 mg/j. Le traitement était débuté au plus 15 jours après la naissance. Les auteurs signalent une augmentation de la production lactée chez les mères traitées par rapport aux mères non traitées, sans que cette augmentation n’apparaisse cependant corrélée avec les taux de prolactine. Il faut par ailleurs souligner que cette étude est ancienne (1985) et qu’il n’est nulle part fait mention de l’utilisation de méthodes non médicamenteuses de soutien à l’allaitement pour le groupe placebo (4).
En conclusion, sur ce premier point, les quelques données d’efficacité d’un traitement par dompéridone concernent surtout les mères d’enfants prématurés. Il faut garder à l’esprit que les effectifs sont très réduits.
Il n’existe aucune donnée d’efficacité de la dompéridone chez les mères d’enfants nés à terme au-delà de 15 jours post-partum.

2. Risque de l’utilisation de la dompéridone

C’est sur ces points que notre avis diffère complètement de celui émis dans le texte. Il est parfaitement infondé de dire que la dompéridone est un médicament dangereux.
S’il s’agit bien d’un médicament de type neuroleptique, il ne passe que très peu la barrière hématoencéphalique, ce qui en fait l’un des antiémétiques de cette classe les mieux tolérés (en comparaison au Primpéran® par exemple). Il n’est donc pas légitime ni scientifiquement justifié d’extrapoler les effets indésirables des neuroleptiques antipsychotiques à la dompéridone comme cela est fait dans l’article.

a. Chez la mère

Parmi les effets indésirables cités dans l’article :

– Hyperprolactinémie : c’est justement le but recherché dans ce contexte d’utilisation.
– Troubles du rythme cardiaque : cet effet a justifié le retrait de la dompéridone aux USA. Il faut cependant préciser que les cas de troubles du rythme survenaient lors d’administration par voie IV de dompéridone chez des patients recevant une chimiothérapie anticancéreuse et à des doses plus élevées que celles préconisées dans son utilisation en tant que galactogogue. Il faut également préciser que la biodisponibilité par voie orale de la dompéridone est faible, de l’ordre de 15 %. Les concentrations plasmatiques de dompéridone obtenues après une administration IV sont donc bien supérieures à celles suivant une prise orale.
Enfin, pour être tout à fait complet, les seules études épidémiologiques s’intéressant au risque cardiaque de la dompéridone par voie orale ne retrouvent qu’un sur-risque extrêmement faible chez les patients âgés de plus de 60 ans et de sexe masculin (5,6).

Compte tenu de la population qui nous intéresse, de la dose utilisée et en prenant soin d’interroger les patientes sur d’éventuels antécédents cardiaques personnels, il ne semble pas que la prise de dompéridone comme galactogogue expose à un risque spécifique de troubles du rythme.

– Troubles extrapyramidaux : il s’agit de l’un des effets indésirables les plus fréquents décrit avec les antiémétiques de cette classe. Ces troubles sont généralement des mouvements anormaux, parfois impressionnants, mais généralement bénins, qui cèdent avec l’arrêt du médicament. La dompéridone est cependant beaucoup plus rarement impliquée dans ce type de trouble que le métoclopramide. Ainsi, une analyse des notifications en France a permis d’estimer l’incidence de cet effet à 1 cas/3.000.000 de prescriptions.
– Troubles thromboemboliques veineux : il s’agit d’effets indésirables rapportés avec les neuroleptiques antipsychotiques uniquement et pour lequel il semble qu’il existe une part importante liée à la pathologie sous-jacente, puisque les patients psychotiques présentent généralement de nombreux facteurs de risque associés à des thromboses. Cet effet n’est pas noté dans les RCP des spécialités à base de dompéridone, et c’est parfaitement logique.

– Idées et comportement suicidaires : à nouveau, il s’agit d’un effet qui n’a jamais été décrit avec la dompéridone et qui semble extrapolé à partir du profil d’effet indésirable d’autres neuroleptiques.

b. Chez l’enfant

Le passage dans le lait de la dompéridone a été étudié dans plusieurs études. En prenant le taux lacté le plus élevé observé dans ces études (2,6 μg/L), on peut estimer qu’un enfant allaité exclusivement est exposé à une dose de 0.4 μg/kg/j, soit 0,05 % de la plus petite dose recommandée en pédiatrie. Ce niveau d’exposition parait un élément suffisant pour éliminer raisonnablement un risque chez l’enfant allaité, même en envisageant des variations inter et intra individuelles qui pourraient conduire à des taux plus élevés.
Dans les études citées plus haut, aucun effet indésirable n’a été observé chez les enfants allaités, y compris dans un contexte de prématurité. Enfin, le Motilium® peut être utilisé chez l’enfant dès la naissance. Dans la base nationale de pharmacovigilance, les quelques effets signalés concernant des enfants de moins de 1 an traités directement sont en grande majorité des mouvements anormaux survenant pour l’essentiel dans un contexte de surdosage accidentel en dompéridone.
Enfin, une étude s’est intéressée aux modifications éventuelles de composition du lait chez les mères traitées par dompéridone et n’a pas identifié de conséquence notable (2).

Pour conclure :

Si l’intérêt de l’utilisation de la dompéridone comme galactogogue est discutable et reste pour l’essentiel à démontrer, ce type d’utilisation selon les protocoles habituellement proposés (30 mg/j pendant 1 à 2 semaines) ne parait pas exposer la mère et l’enfant à un risque particulier.
Des études complémentaires randomisées restent à réaliser pour juger de la posologie adéquate à donner chez les mères d’enfants prématurés.

« source : La Leche League France »

Publié le 15 décembre 2011 par Anne Vaneson-Bigorgne

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