« QUAND DES PARENTS KIDNAPPENT LEURS ENFANTS » Interview du Dr. Paul Bensussan, psychiatre, expert national

Dans quelques jours, deux pères vont être jugés pour kidnapping de leurs enfants. Combien d’enfants ont-ils perdu le contact avec un de leurs parents à la suite d’une séparation conjugale conflictuelle ? Qui sont ces parents qui sont prêts à enlever ou séquestrer leurs enfants, voire même les assassiner, plutôt que reconnaître l’existence parentale de leur ex-conjoint ? Quels sont les droits des enfants et les devoirs des parents ? Paul Bensussan, expert agréé par la Cour de cassation, est l’un des rares psychiatres français à avoir publié et travaillé sur le thème sensible et méconnu de l’aliénation parentale.

QUESTION : A la suite d’un rapt parental, un enfant peut se rallier corps et âme au parent ravisseur, qu’il dit « avoir choisi », ou à qui il a « demandé de le kidnapper », et rompre tout lien affectif avec son autre parent, jadis aimé, qui va devenir soit un ennemi qu’il faut fuir ou dont il faut se cacher, ou un étranger qu’il ignore ou rejette. Dans ces situations, peut-on faire faire le parallèle entre le syndrome d’aliénation parentale et le « syndrome de Stockholm » ?
P.BENSUSSAN : Lors d’une séparation conflictuelle, un parent peut littéralement prendre son enfant en otage et le soumettre à un chantage psychologique plus ou moins subtil pour l’amener à se détacher de son autre parent. Prisonnier d’une relation d’emprise, l’enfant peut tenir alors des propos insensés, niant toute affection envers le parent rejeté. L’ensemble des manifestations observées est en profonde discordance avec la qualité antérieure de la relation, le rejet de l’autre parent pouvant aller jusqu’à sa destruction psychologique. Ce processus n’est pas toujours le résultat d’une manipulation : il peut prendre l’allure d’un choix « spontané » de l’enfant, qui se présente comme le soutien inconditionnel du parent perçu comme victime de la séparation. Ces enfants sont alors extrêmement convaincants, y compris devant les juges ou … les experts. Ce processus de désaffection parentale, appelé Syndrome d’Aliénation Parentale (SAP), va amener l’enfant instrumentalisé à rompre tout lien affectif avec l’un de ses parents ainsi qu’avec tout l’environnement familial de celui-ci. Le « syndrome de Stockholm » ainsi que le « syndrome d’aliénation parentale » ne relèvent pas d’une pathologie psychiatrique individuelle. Parents comme enfants, considérés individuellement, apparaissent « normaux », si ce terme a un sens. Ce sont en fait des pathologies du lien, bien plus profondes et plus complexes qu’une simple sympathie entre captifs et ravisseurs, ou entre des victimes et des agresseurs. C’est une interaction complémentaire en « creux-relief » dans une relation affective intense, mise en place à la suite d’un facteur déclenchant émotionnellement traumatique, puis ritualisée et entretenue, jusqu’à atteindre une situation de dépendance mutuelle absolue.

QUESTION : Quelles sont les motivations conscientes et/ou inconscientes du parent qui exige la soumission de l’enfant à sa cause et le rejet de l’autre parent ? Les parents ravisseurs ont-ils un profil particulier ou des discours semblables ?
P.BENSUSSAN : Le parent qui a pu induire le rejet de l’autre est, dans la plupart des cas, celui qui a la garde de l’enfant. Mais le parent non gardien peut lui aussi être en cause, notamment lorsqu’il s’estime, à tort ou à raison, victime d’une « désaffection » de la part de son enfant, ou injustement privé de contact avec lui. La douleur morale, liée au fait de se sentir, petit à petit, devenir un véritable étranger pour son enfant induit bien plus qu’un sentiment d’injustice : il s’agit d’une véritable tragédie, qui se double d’un sentiment d’impuissance et de rage ; contre la justice, contre l’autre parent… Celui qui se sent évincé peut alors adopter un comportement étonnamment égocentrique, oublier la souffrance et le désarroi de son enfant pour ne prendre en considération que les siens.
Les torts supposés de l’autre parent, fréquemment mis en avant pour expliquer le comportement, peuvent permettre de comprendre certains gestes. Pas de les légitimer. La plupart des parents qui commettent un rapt – physique ou psychologique – disent n’avoir pas eu d’autre choix. Mais en répondant de manière aussi radicale, ils se montrent incapables de réelle empathie envers leur enfant. Ils ont l’illusion de pouvoir tout lui apporter, tandis que l’autre parent est présumé insuffisant voire inapte. Même s’il est adulé, l’enfant n’est plus un sujet, mais un objet. Le meilleur parent, lors des séparations parentales, est celui qui se montre le plus apte à préserver le lien entre l’enfant et l’autre parent. En matière de rapt, la situation est claire …
Enfin, parmi les motivations, le désir d’être « un bon parent » – parfois plus encore après la séparation. Dans bien des cas, l’égo joue un rôle au moins aussi important que l’amour pour l’enfant. La disparition du couple parental et de la cellule familiale entraîne bien souvent une angoisse d’anéantissement, à laquelle on peut être tenté de répondre en voulant, à tout prix, tout apporter à son enfant et ne plus vivre que pour lui.

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Source : ACALPA

Publié le 26 mars 2009 par Anne Vaneson-Bigorgne

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