DES PSYS POUR COMBATTRE LA SOUS-NUTRITION?

L’idée pourrait sembler farfelue. Pourquoi une ONG comme Action contre la Faim peut-elle bien faire appel au psycho-social pour lutter contre une maladie, la sous-nutrition, que l’on associe souvent exclusivement (et à tort) à des problèmes d’accès à la nourriture ? Il y a 10 ANS, Action contre la Faim a décidé d’intégrer la «santé mentale », c’est-à-dire la dimension psychologique et les « pratiques de soins » (soins prodigués aux enfants par leur entourage proche) dans beaucoup de ses programmes de lutte contre la sous-nutrition. Une décennie plus tard et à l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale (10 octobre), l’organisation fait le point sur cette approche.

Dans les sociétés occidentales, nul ne s’étonne qu’une cellule de crise s’occupe des familles des victimes d’un attentat, que des parents soient accompagnés après le décès de leur enfant, qu’après un viol, une femme soit suivie par un psychologue…
Dans des pays où l’accès aux soins psychologiques est moins répandu, lors de catastrophes naturelles ou de chocs, de situations de grande vulnérabilité ou dénuement, cet accompagnement passe souvent «à l’as». Il peut pourtant avoir des répercussions sur le bien-être général mais aussi nutritionnel des individus, en particulier celui des enfants, de par l’impact sur la capacité des parents à prendre soin d’eux.
Par ailleurs, certains facteurs sociaux-culturels peuvent avoir des effets bénéfiques ou négatifs sur le statut nutritionnel des enfants : il s’agit notamment de traditions, de croyances sur ce qui est bon ou mauvais pour un enfant, ou bien encore de modes de vie (charge de travail, configuration de la cellule familiale). Une dimension plus « anthropologique » qu’ACF prend également en compte dans ses programmes « SMPS » ( Santé Mentale et Pratiques de Soins).

DEPRESSION ET SOUS-NUTRITION
Les nombreux articles qui paraissent dans nos journaux sur le « baby blues » mettent bien en lumière l’impact de la dépression d’une mère sur sa capacité à prendre soin de son enfant, et sur le développement de celui-ci.

On comprend à quel point certains épisodes traumatisants (guerres, déplacements de population, catastrophes naturelles, auxquels s’ajoutent généralement la déstabilisation de la cellule familiale) peuvent, eux aussi, générer de graves troubles individuels (traumatismes, dépressions, stress, deuils compliqués) qui à leur tour peuvent affecter la capacité de parents à s’occuper de leur enfant.Les difficultés psychologiques des parents peuvent directement générer une malnutrition chez l’enfant. Aujourd’hui, on sait qu’un enfant risque de grandir moins bien ou de récupérer plus difficilement d’un épisode de malnutrition aiguë si ses parents sont déprimés, en état de choc ou peu disponibles.

Ce phénomène est d’autant plus problématique que, dans des contextes d’urgence, il se superpose souvent à la perturbation des sources d’approvisionnement alimentaire ou de revenus…

Parce que la sous-nutrition n’est pas uniquement liée à un problème de manque de nourriture, parce qu’elle a également une dimension psychologique, contextuelle et culturelle, les programmes d’ACF comprennent souvent un volet « santé mentale et pratiques de soins».

Les pratiques de soins infantiles sont les comportements et pratiques des personnes en charge des soins qui fournissent la nourriture, les soins médicaux, la stimulation et le soutien émotionnel nécessaires pour permettre à l’enfant de vivre, grandir et se développer sainement. Ces pratiques, combinées à une sécurité alimentaire et des ressources en soins médicaux, ont une importance capitale sur le bien-être de l’enfant. Dans des familles soumises à un choc ou en difficulté, le lien enfant/parent peut être affecté. Il s’agit donc de retisser le lien affectif pour recréer un environnement propice à un bon développement.

LES «SMPS» EN ACTION :
L’EXEMPLE D’HAITI
Faire vivre son enfant dans un champ de ruines et dans le deuil
Suite au séisme meurtrier de janvier 2010, ACF a mis en place des programmes spécifiques en santé mentale et pratiques de soins à Port au Prince. Dans ce cadre, notamment, des tentes d’accueil mères – enfants offrait aux femmes un espace où elles pouvaient se reposer, tout en bénéficiant d’un soutien psychologique et d’une attention bienveillante.
Un intense travail d’accompagnement et d’écoute de ces mères a été réalisé, prenant en compte les ressentis et traumatismes qui, dans de nombreux cas, pouvaient conduire à la rupture du lien entre la mère et l’enfant, ou des soins qu’elle lui prodiguait habituellement.
Par exemple, un certain nombre de mamans pensait qu’elles n’avaient plus de lait après le tremblement de terre car il était «monté» dans leur cerveau. De ce fait, elles arrêtaient d’allaiter, pensant qu’elles ne pouvaient plus avoir de lait. Les programmes d’accompagnement ont donc visé à leur permettre de se détacher de ce type de croyances, à les faire sortir de la sidération et de l’abattement.
Par ailleurs, une tradition locale fait qu’à la naissance, on donne souvent à boire un mélange d’herbes au bébé. Or, comme l’eau n’était pas potable suite au séïsme, les nourrissons ayant un petit poids de naissance pouvaient rapidement devenir malnutris. L’équipe a donc expliqué aux bénéficiaires, au-delà de cette croyance, les bénéfices pour l’enfant de la prise du colostrum et de l’allaitement, en proposant aux mères un accompagnement dans les soins au bébé.

LE POIDS DE LA CULTURE
Des croyances locales sur ce qui est bon ou mauvais pour un enfant influencent les pratiques. Certaines croyances sont parfois dommageables pour l’état nutritionnel de l’enfant et sa future relation à la nourriture. Si donner à une famille un sac de riz de 25 kg est vital, une transmission des savoirs en matière de développement infantile est tout autant essentielle…
ACF procède à des évaluations approfondies des croyances, pratiques, relations socio culturelles des populations bénéficiaires afin d’avoir une bonne connaissance de l’environnement socioculturel et de comprendre les facteurs qui peuvent favoriser la sous-nutrition.
Comme dans l’exemple du Tchad (ci-dessous), elle met en oeuvre des programmes visant à changer les comportements, en favorisant les pratiques favorables à l’équilibre nutritionnel et s’efforçant de faire reculer celles qui lui nuisent.

Publié le 20 septembre 2012 par Anne Vaneson-Bigorgne

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